Les homos sont il toujours les prescripteurs de tendances
Les gays sont ils toujours des prescripteurs de tendances ? Les homosexuels célèbres ont été des icônes et ont beaucoup fait pour l’image des gays aujourd’hui. Sont-ils toujours les chefs de file dans l’underground, l’art, la littérature ou sommes nous condamnés à de nouvelles icônes issues de télé -la réalité. Les héros «sans gloire» nous rapprocheront-ils davantage du commun des mortels?
Thierry Goguel d’Allondans : Hmmm (inspiration profonde). C’est drôlement intéressant de poser cette question comme ça ! En fait, je pense que les homosexuels sont passés d’indicateur de tendances à indicateur de temps denses, si vous me permettez ce jeu de mots audacieux. Parmi les dates clés : 1981, abolition du délit d’homosexualité.
Avant, nous sommes dans un monde relativement homogène, presque sans aspérités : ce qui est si différent, tellement différent de nous, ne nous atteint pas. La norme sociale, même ébranlée par les événements de mai 68, est encore aisément cernable, des codes (y compris moraux) fonctionnent. Les homosexuels, eux, sont identifiés par des caricatures (la voix, les manières, le style…), ils sont l’objet de moqueries à tous les niveaux de la société (rappelons-nous certains sketchs de Fernand Raynaud et de ses contemporains)… Ils sont ridiculisés et donc si extraordinairement différents de nous qu’ils ne sont pas une partie de nous. La grande majorité reste cachée (pensons au mariage de convenance d’André Gide, par exemple). Du coup, ces caricatures de la réalité permettent, comme le disait déjà le sociologue Erving Goffman, en 1963, de « marquer une différence et assigner une place : une différence entre ceux qui se disent «normaux» et les hommes qui ne le sont pas tout à fait (ou, plus exactement, les anormaux qui ne sont pas tout à fait des hommes) ; une place dans un jeu qui, mené selon lès règles, permet aux uns de se sentir supérieurs devant le Noir, virils devant l’homosexuel, etc. 1». À côté de cela, il y a un bruissement, une minorités, les nécessaires fous du roi qui, dans des espaces préservés (la mode, le spectacle, la culture,…) peuvent dessiner des tendances, offrir une vie par procuration, un rêve inaccessible mais qui permet déjà d’entrevoir un horizon. Nous avions besoin de ces excès pour réenchanter notre existence mais nous n’en payions pas le prix (songeons que bon nombre d’icônes gays meurent tragiquement à l’instar des pop stars). À cette époque, s’encanailler n’est pas devenir canaille ; se faire coiffer ou habiller par un homo, ne prédispose pas à accepter l’homosexualité de ses enfants.
Aujourd’hui, la différence est partout et chacun revendique son originalité. L’homosexualité, non sans mal, est devenue une partie de la réalité sociale (pensons à toutes ces émissions de télé réalité où il est de bon ton d’avoir un homosexuel pour égayer l’audimat). C’est chic, d’accepter le différent en nous, d’oser la confusion des genres, même subrepticement. Erving Goffman l’avait pressenti, en posant très tôt, l’hypothèse que «La question des normes sociales demeure certes[…], mais notre intérêt ira moins à ce qui s’écarte extraordinairement du commun qu’à ce qui dévie communément de l’ordinaire »2. Et là aussi, la télé (petite fenêtre sur le monde mais aux carreaux mal lavés !) nous renseigne, ce sont désormais les gens «normaux» ou du moins qui dévie communément de l’ordinaire qui font les vedettes.
Les homos ne seront sans doute plus, à eux seuls, le lieu de l’effervescence, de l’originalité, de l’innovation, de la création, etc. mais ils égaillent toujours notre quotidien (des égayeurs ?) car leur mode de vie se présente encore comme dépoussiéré de bien des contraintes sociales (il y a bien des hétéros qui se pacsent ou qui, toujours à la télé, pour sortir de l’insipide, se font relooker par quelques queers).
Thierry Goguel d’Allondans sociologue et anthropologue.
(notes)
1 Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les éditions de Minuit (coll. Le sens commun), [1963] 1975, p.4 de couverture.
2 Idem, p.150.