lundi 12 novembre 2007

Les homos toujours prescripteurs de tendances ?

Les homos sont il toujours les prescripteurs de tendances
Les gays sont ils toujours des prescripteurs de tendances ? Les homosexuels célèbres ont été des icônes et ont beaucoup fait pour l’image des gays aujourd’hui. Sont-ils toujours les chefs de file dans l’underground, l’art, la littérature ou sommes nous condamnés à de nouvelles icônes issues de télé -la réalité. Les héros «sans gloire» nous rapprocheront-ils davantage du commun des mortels?
Thierry Goguel d’Allondans : Hmmm (inspiration profonde). C’est drôlement intéressant de poser cette question comme ça ! En fait, je pense que les homosexuels sont passés d’indicateur de tendances à indicateur de temps denses, si vous me permettez ce jeu de mots audacieux. Parmi les dates clés : 1981, abolition du délit d’homosexualité.
Avant, nous sommes dans un monde relativement homogène, presque sans aspérités : ce qui est si différent, tellement différent de nous, ne nous atteint pas. La norme sociale, même ébranlée par les événements de mai 68, est encore aisément cernable, des codes (y compris moraux) fonctionnent. Les homosexuels, eux, sont identifiés par des caricatures (la voix, les manières, le style…), ils sont l’objet de moqueries à tous les niveaux de la société (rappelons-nous certains sketchs de Fernand Raynaud et de ses contemporains)… Ils sont ridiculisés et donc si extraordinairement différents de nous qu’ils ne sont pas une partie de nous. La grande majorité reste cachée (pensons au mariage de convenance d’André Gide, par exemple). Du coup, ces caricatures de la réalité permettent, comme le disait déjà le sociologue Erving Goffman, en 1963, de « marquer une différence et assigner une place : une différence entre ceux qui se disent «normaux» et les hommes qui ne le sont pas tout à fait (ou, plus exactement, les anormaux qui ne sont pas tout à fait des hommes) ; une place dans un jeu qui, mené selon lès règles, permet aux uns de se sentir supérieurs devant le Noir, virils devant l’homosexuel, etc. 1». À côté de cela, il y a un bruissement, une minorités, les nécessaires fous du roi qui, dans des espaces préservés (la mode, le spectacle, la culture,…) peuvent dessiner des tendances, offrir une vie par procuration, un rêve inaccessible mais qui permet déjà d’entrevoir un horizon. Nous avions besoin de ces excès pour réenchanter notre existence mais nous n’en payions pas le prix (songeons que bon nombre d’icônes gays meurent tragiquement à l’instar des pop stars). À cette époque, s’encanailler n’est pas devenir canaille ; se faire coiffer ou habiller par un homo, ne prédispose pas à accepter l’homosexualité de ses enfants.
Aujourd’hui, la différence est partout et chacun revendique son originalité. L’homosexualité, non sans mal, est devenue une partie de la réalité sociale (pensons à toutes ces émissions de télé réalité où il est de bon ton d’avoir un homosexuel pour égayer l’audimat). C’est chic, d’accepter le différent en nous, d’oser la confusion des genres, même subrepticement. Erving Goffman l’avait pressenti, en posant très tôt, l’hypothèse que «La question des normes sociales demeure certes[…], mais notre intérêt ira moins à ce qui s’écarte extraordinairement du commun qu’à ce qui dévie communément de l’ordinaire »2. Et là aussi, la télé (petite fenêtre sur le monde mais aux carreaux mal lavés !) nous renseigne, ce sont désormais les gens «normaux» ou du moins qui dévie communément de l’ordinaire qui font les vedettes.
Les homos ne seront sans doute plus, à eux seuls, le lieu de l’effervescence, de l’originalité, de l’innovation, de la création, etc. mais ils égaillent toujours notre quotidien (des égayeurs ?) car leur mode de vie se présente encore comme dépoussiéré de bien des contraintes sociales (il y a bien des hétéros qui se pacsent ou qui, toujours à la télé, pour sortir de l’insipide, se font relooker par quelques queers).
Thierry Goguel d’Allondans sociologue et anthropologue.

(notes)
1 Erving GOFFMAN, Stigmate. Les usages sociaux des handicaps, Paris, Les éditions de Minuit (coll. Le sens commun), [1963] 1975, p.4 de couverture.
2 Idem, p.150.

Ces gays qui n'aiment pas le sexe !

Ces gays qui n’aiment pas le sexe
La sexualité des gays est tellement imprégnée dans le conscient collectif comme boulimique, qu’elle a fini par en être l’identité. La multiplication des lieux de consommation, backrooms et autres saunas, le nombre de pages consacrées dans la presse gay au fast sex et la déferlante de sites dédiés aux différentes manières de le déguster a fini par faire oublier ceux qui ne s’y adonnent pas à corps perdu.


QUI et pourquoi ?
Parmi les personnes qui ne se plient pas au modèle dominant, on peut retrouver les enfants de soixante-huitards qui prônent le mariage et la fidélité par réaction. Mais nous pouvons aussi y déceler des hommes qui souhaitent réfléchir à une autre conception de la masculinité, comme l’ont fait les féministes pour la féminité. Ou encore, des personnes fatiguées par une vie d’errance sexuelle qui souhaitent, désormais, se poser. Ou encore quelques religieux intégristes pour qui sexe rime avec queue du diable ! Ou encore des garçons qui aspirent à une autre sensualité, etc. Bref, vous voyez que refuser un schéma préétabli c’est finalement chercher le sens d’une existence singulière. Aussi, je m’émerveille toujours, chez mes semblables, d’accomplissements si différents : des joies du célibat à ceux de la conjugalité, en passant par tant d’autres styles de vie. L’important reste de ne pas transiger sur son désir, ce qui ne veut pas dire s’adonner, finalement passivement, à toutes ses pulsions mais trouver des modes d’exploitation de l’énergie libidinale qui, activement, vous correspondent. »

Une société impose des codes prévalents. Ils peuvent être différents au cours de l’histoire, mais également au regard d’autres groupes sociaux. Ainsi, l’ethnologue Maurice Godelier rappelle l’influence des missionnaires anglicans sur les mœurs des Baruyas de Nouvelle Guinée. Ces derniers avaient élaborés des rites où leurs jeunes hommes pour grandir devaient pratiquer, depuis la nuit des temps, une homosexualité initiatique qui horrifia, dès leur arrivée, les hommes d’église. Les stratagèmes utilisés par les colons pour en finir avec ces pratiques furent assez redoutables, notamment lorsqu’ils menacèrent les chefs de tribus de révéler aux femmes le secret des hommes !
Thierry Goguel d’Allondans, anthropologue



L’avis du sexologue

Les gays qui viennent vous consulter sont bien loin de l’image du héros sexuel dans le fantasme collectif…
L’image du gay-héros sexuel provoque un ensemble d’émotions contradictoires. Elle correspond à une forme de liberté érotique mêlée de frénésie sexuelle. Pour certains, cette image fait envie, il s’agit de l’objectif à atteindre, pour d’autres, cette image agace car elle crée un raccourci entre l’orientation homosexuelle et l’obsession sexuelle. Heureusement la sexualité humaine est bien plus riche qu’un stéréotype.
D’où est né ce stéréotype ? Il est l’héritage d’une croyance religieuse qui lie la sexualité à la procréation. S’appuyant sur l’idée erronée de l’inversion, l’orientation homosexuelle a été confondue au coït anal perçu comme « le miroir » stérile du coït vaginal. Ainsi, la sexualité des gays, stérilisée, dissociée de la procréation, se voit attribuer le nouveau sens de la concupiscence. Cette dissociation n’est pas nouvelle et cette problématique n’est pas propre à l’orientation sexuelle. Elle existait déjà chez les romains qui séparaient la sexualité procréative avec leur femme cloîtrée dans le gynécée et la sexualité récréative avec les prostitués. De nombreux traités de médecine soulèvent la question de l’orgasme féminin ; Il en ressort à chaque fois la même idée : la femme qui jouit est une obsédée et une catin.
Au-delà de cette idée reçue, l’image du héros sexuel, qu’il soit gay ou non est d’avantage liée au culte de la performance développé depuis les années 70.
Les patients qui viennent consulter ont pour la majorité une souffrance liée au décalage entre leur sexualité et celle qu’il fantasment, souvent imposée le culte social de la performance sexuelle.
Que sait-on de la sexualité des gays ? Tout d’abord, elle ne se résume pas à la sodomie, qu’elle soit réceptive ou insertive. Selon l’enquête sur le comportement des français (ACSF / 1993), cette pratique sexuelle n’est pas l’activité principale déclarée lors du dernier rapport : 36% ont sodomisé leur partenaire, 28% ont été sodomisés selon l’enquête. La fellation et la masturbation (72% à 82%) composent l’essentiel du répertoire homosexuel dans lequel les caresses corporelles mutuelles sont systématiques. D’autres pratiques existent, mais elles sont le reflet d’une petite partie de la « population homosexuelle », comme le « fist-fucking » insertif ou réceptif pratiqué seulement par 6% des répondants. L’enquête ACSF comparait également le nombre moyen de partenaires qui s’élevait à 11 pour les hétérosexuels et à 13,7 pour les homosexuels.
En réalité, ce que nous apprennent les enquêtes et la clinique est qu’il faut cesser de comparer les orientations sexuelles, car la vraie différence n’est pas là. Elle se situe entre les sexes biologiques, les hommes et les femmes. Le désir des hommes étant bien distinct de celui des femmes.

Quelles sont les raisons pour lesquels les gays consultent le sexologue ?
Les hommes consultent majoritairement pour les dysfonctions érectiles, des troubles de l’éjaculation (précoce ou retardée) ou des troubles du désir. À ces pathologies, s’ajoutent toutes les difficultés de couple.
L’orientation sexuelle intervient surtout dans l’adaptation de la prise en charge. Prenons un exemple : La rigidité pénienne doit être supérieure pour la pénétration anale par rapport à la pénétration vaginale. À trouble d’érection égal, le vécu d’un patient va être différent en fonction de sa pratique sexuelle, de même que son exigence dans la restitution d’une rigidité pénienne…

En quoi l’homosexualité est-elle spécifique ?
Il est évident que l’orientation sexuelle influe sur le parcours de vie et dans l’apprentissage de la sexualité. Prenons deux exemples : Le modèle utilisé et fantasmé dans la construction hétérosexuelle demeure fréquemment le modèle parental. Ce modèle est inefficace dans la construction homosexuelle. La première orientation est reproduite, la seconde est produite. Autre exemple, l’asymétrie des désirs dans un couple hétérosexuel entraîne une négociation différente de celle d’un couple homosexuel. Deux hommes qui marchent dans la rue peuvent se retourner sur un troisième, chose impossible dans un couple hétérosexuel…
Il ne s’agit donc pas de hiérarchiser les comportements sexuels et encore moins de les juger. Mais il faut se rendre à l’évidence : l’expérience sexuelle est bien plus riche que les représentations sociales et il n’existe aucune obligation de correspondre à un standard donné.
Docteur Gonzague de Larocque est médecin sexologue
Auteur de « les homosexuels » collection « idées reçues » - Le cavalier bleu Edition
Président d’E.R.O.S ( Etudes et Recherche sur les Orientations Sexuelles).
gonzaguedelarocque@yahoo.fr



Témoignage
Léo nous reçoit dans son deux-pièces, boulevard des Batignolles. Des dizaines de livres sur l’Histoire de l’Art constituent l’essentiel du mobilier. Léo a 34 ans et comme beaucoup de gays de son âge, il cherche l’amour : « C’est très dur d’avoir une relation suivie avec quelqu’un… si au bout de deux jours vous n’avez pas couché, on se demande quelle tare vous avez... ». Pourtant, la boulimie sexuelle il connaît : quand il est arrivé à Paris voilà douze ans, il avait écumé les circuits de consommation « Je me croyais au paradis, personne ne disait non. Quand un mec me plaisait, il suffisait d’un regard pour qu’on s’envoie en l’air ! » Et puis un jour... plus rien. Plus envie d’accomplir le rituel du samedi : shopping-uv-douche-rasage-et-cul. Il s ‘abrite dans ses ouvrages sur l’art et se promet qu’il ne couchera plus jamais sans amour. Il se met alors à décliner les plans sexe et consacre toute son énergie à l’écriture d’un livre sur l’Art. « Je n’ai pas le temps d’y penser, alors, ça ne me manque pas. »
Selon Thierry Goguel, anthropologue « La libido est une énergie de transformation. Face au désir sexuel, nous avons plusieurs possibilités. Notre histoire, notre éducation, notre monde, nos cultures, vont imprimer les possibles et les options plus délicates »
Mais même si Léo dit ne pas y penser, il confesse son désir de rencontrer celui qui réveillera son ardeur et rêve d’une sexualité dictée par le seul amour.
A 22 ans, Joaquin ne parvient pas à se reconnaître dans le modèle gay qui pratique la sexualité à temps plein. Ses rencontres avec les garçons se soldent invariablement par la volatilisation de l’autre, découragé par son manque d’enthousiasme à passer à l’acte : « Je me suis même demandé si j’étais vraiment gay. Je suis attiré par les hommes pour être avec eux pas forcément pour avoir un rapport » Les quelques expériences vécues ne lui ont pas laissé le goût de la récidive.
« Ce qui m’énerve, c’est les réflexions du style : «t’es une allumeuse. Le pire ce sont mes copines qui n’arrêtent pas d’insister pour que je me fasse un mec ». Soumis aux railleries et à une pression constante, ses interrogations sur sa capacité à éprouver du désir le poussent au recroquevillement. « Nous sommes encore dans le mythe de l’enlèvement des Sabines, - explique M Goguel - l’adolescent qui a perdu sa virginité est élevé au rang de conquérant, le puceau reste en deçà, inachevé ».

L'appetit sexuel en question

Thierry Goguel d’Allondans est sociologue, anthropologue et auteur de « Sexualités Initiatiques», collection nouveaux mondes 2004 . Nous avons pris l’habitude à Oxydo de le solliciter pour les questions sociologiques relatives à l’homosexualité. Et ce n’est pas sans un malin plaisir qu’il nous livre ici ses réflexions sur notre rapport à la libido.L’appétit sexuel des hommes passe pour être plus important que celui des femmes, est-ce vrai ?
L’appétit sexuel des hommes passe pour être plus important que celui des femmes, est-ce vrai ?
Hmmm, cette notion d’appétit me rappelle une coutume rituelle australienne. Là-bas, les aborigènes utilisent couramment la formule de civilité « Utna ilkukabaka ? » qui veut à la fois dire « Avez-vous mangé ? » ou « Avez-vous fait l’amour ? » manière pour un ami de s’enquérir de l’état de satisfaction d’un de ses proches. Franchement, c’est quand même extraordinaire cette analogie entre l’aliment et le sexe ! D’ailleurs vous êtes belle «à croquer» (sourire) !
Plus sérieusement, j’aimerais bien qu’un neurobiologiste me démontre que des hormones ou des endorphines peuvent, à elles seules, expliquer l’inégalité des sexes devant les pulsions sexuelles et de manière similaire devant les problèmes d’obésité liées à la production des sucs gastriques. Il y a sûrement des scientifiques prêts à nous l’affirmer (le traitement des délinquants sexuels en Amérique du Nord participe souvent de cette conception, comme dans la vieille Europe l’utilisation, à l’insu des intéressés, du bromure à l’armée ou dans les pensionnats
Peut-on, dès lors, avoir une conduite addictive à l’égard du sexe comme d’autres pour le chocolat ? Pour ma part, la culture et l’éducation sont beaucoup plus efficaces que nos sécrétions ! Si la nature est culturellement conditionnée, comme le prouve l’anthropologie, il en est de même pour la sexualité qui est au cœur des relations sociales. Freud a ainsi pu démontrer que l’hystérie avait à voir avec la répression sexuelle dont était victimes les femmes de son époque. L’émancipation, pour les garçons comme pour les filles, est un combat contre l’histoire, l’éducation, les normes et les valeurs du moment.
Ces précautions étant posées, nos sociétés modernes ne sont pas sorties de conceptions assez archaïques des rôles dévolus aux hommes et aux femmes. On pourrait même dire que les rapports garçon/fille non seulement n’ont pas évolué comme l’après 68 nous le laissait espérer, mais qu’ils se sont, ici ou là, rigidifiés. Plusieurs paramètres l’expliquent, mais c’est un autre débat. Du coup, le petit mâle est valorisé dans l’expression de sa sexualité à l’inverse d’une fille fortement critiquée si elle exprime ouvertement ses appétences.
Les parents les plus libéraux ont intégré ce schéma puisque c’est aussi pour cela qu’ils s’inquiètent moins des sorties nocturnes de leur adolescent que de leur adolescente !

La société n’impose t-elle pas à l’homme d’être un héros sexuel, un homme qui ne soit pas «chaud» serait quelque part handicapé ?
Dans nos enquêtes sur les conduites à risque des jeunes, nous avons pu remarquer que le rapport au corps est assez significativement différent suivant les sexes. Prosaïquement, on pourrait dire que le garçon a un corps, il l’agit, ses comportements sont extravertis et cherchent l’assentiment d’un public de pairs. La fille est un corps, ses conduites sont plus intraverties, son intimité plus secrète. Ça c’est une lecture anthropologique ; on pourrait la compléter utilement par une lecture psychanalytique du phallus et de l’utérus, du dehors et du dedans…
Une société impose des codes prévalents. Ils peuvent être différents au cours de l’histoire, mais également au regard d’autres groupes sociaux. Ainsi, l’ethnologue Maurice Godelier rappelle l’influence des missionnaires anglicans sur les mœurs des Baruyas de Nouvelle Guinée. Ces derniers avaient élaborés des rites où leurs jeunes hommes pour grandir devaient pratiquer, depuis la nuit des temps, une homosexualité initiatique qui horrifia, dès leur arrivée, les hommes d’église. Les stratagèmes utilisés par les colons pour en finir avec ces pratiques furent assez redoutables, notamment lorsqu’ils menacèrent les chefs de tribus de révéler aux femmes le secret des hommes !
Aujourd’hui, chez nous, le clivage que vous indiquez dans votre question est toujours bien présent même si, officiellement, le premier rapport sexuel est, désormais, en France, en moyenne à 17 ans, tant pour le garçon que pour la fille. Cette donnée statistique rend compte des avancées réelles dues au féminisme, mais elle ne témoigne pas des histoires de vie en amont et en aval. S’il reste honorable de garder longtemps sa virginité pour une femme, cela reste plus malaisé pour un homme. Nous sommes encore dans le mythe de l’enlèvement des Sabines, l’adolescent qui a perdu sa virginité est élevé au rang de conquérant, le puceau reste en deçà, inachevé. Il y a donc encore, dans l’imaginaire social, pour celles et ceux qui entrent dans la sexualité adulte, un gain pour le garçon, une perte pour la fille.

Une poignée d’hommes ne se retrouve pas dans ce schéma : est-ce par refus de la pression qui s’exerce sur eux ou simplement ne sommes nous pas tous égaux devant la libido?
J’aurais tendance à jouer, un peu, la provocation en vous disant que nous sommes tous égaux devant la libido mais que nous ne nous l’approprions pas pareillement. En effet, pour Freud, la libido n’est pas réductible aux pulsions sexuelles, loin s’en faut. La libido est une énergie de transformation.

À ce titre, les romans de Hermann Hesse sont extraordinaires : Siddharta après une vie libertine va connaître l’ascèse, Narcisse et Goldmund, l’un voyageur impénitent, l’autre reclus pénitent, seront comme les deux faces d’une seule médaille !
Face au désir sexuel, nous avons plusieurs possibilités. Là aussi, notre histoire, notre éducation, notre monde, nos cultures, vont imprimer les possibles et les options plus délicates. Après il y a certainement des conduites plus socialement convenables : entre réaliser une œuvre d’art, par exemple, et se payer une prostituée ! Mais l’une et l’autre peuvent participer de la même énergie libidinale.
La poignée d’hommes que vous évoquez peut être assez différente dans sa composition. On peut y retrouver les enfants de soixante-huitards qui prônent le mariage et la fidélité par réaction (c’est quand même drôle qu’après avoir lutté contre cette institution les gays la revendiquent !). Mais nous pouvons aussi y déceler des hommes qui souhaitent réfléchir à une autre conception de la masculinité, comme l’ont fait les féministes pour la féminité. Ou encore, des personnes fatiguées par une vie d’errance sexuelle qui souhaitent, désormais, se poser. Ou encore quelques religieux intégristes pour qui sexe rime avec queue du diable ! Ou encore des garçons qui aspirent à une autre sensualité, etc. Bref, vous voyez que refusez un schéma préétabli c’est finalement chercher le sens d’une existence singulière. Aussi, je m’émerveille toujours, chez mes semblables, d’accomplissements si différents : des joies du célibat à ceux de la conjugalité, en passant par tant d’autres styles de vie. L’important reste de ne pas transiger sur son désir, ce qui ne veut pas dire s’adonner, finalement passivement, à toutes ses pulsions mais trouver des modes d’exploitation de l’énergie libidinale qui, activement, vous correspondent.
L’identité chez les gays plus que chez les hétéros repose sur l’image d’une sexualité boulimique. Ccomment résister quand on est gay à ce «je baise...donc je suis» ?
Franchement, voilà une question importante mais guère simple. Je viens de rencontrer, à Cannes, Janine Mossuz-Lavau qui a écrit La vie sexuelle en France (Paris, éditions de La Martinière, 2002). Son enquête confirme que les gays, et particulièrement les hommes, ont, en moyenne, plus de partenaires que les hétéros. Bon, ça on le savait. Mais finalement c’est aussi parce que le communautarisme, pour le pire et le meilleur, permet des rencontres faciles. Il faut prendre en compte, aussi, le fait que, historiquement, la sexualité se décline pour les hommes (cf. il y a très peu de prostitution à l’usage des femmes). Mais ceci dit, la sexualité vécue permet aussi une reconnaissance de soi et de sa valeur. La misère sexuelle touche d’ailleurs plus fortement les personnes défavorisées socialement ! Donc oui « je baise, donc je suis » ou plus exactement « j’ai une vie sexuelle donc je m’épanouis ». Sauf qu’une vie sexuelle qui repose plus sur du « quantitatif » que du « qualitatif » peut au bout de compte laisser le goût amer de toute pratique addictive : j’attendais plus et ça n’est que cela !