lundi 12 novembre 2007

L'appetit sexuel en question

Thierry Goguel d’Allondans est sociologue, anthropologue et auteur de « Sexualités Initiatiques», collection nouveaux mondes 2004 . Nous avons pris l’habitude à Oxydo de le solliciter pour les questions sociologiques relatives à l’homosexualité. Et ce n’est pas sans un malin plaisir qu’il nous livre ici ses réflexions sur notre rapport à la libido.L’appétit sexuel des hommes passe pour être plus important que celui des femmes, est-ce vrai ?
L’appétit sexuel des hommes passe pour être plus important que celui des femmes, est-ce vrai ?
Hmmm, cette notion d’appétit me rappelle une coutume rituelle australienne. Là-bas, les aborigènes utilisent couramment la formule de civilité « Utna ilkukabaka ? » qui veut à la fois dire « Avez-vous mangé ? » ou « Avez-vous fait l’amour ? » manière pour un ami de s’enquérir de l’état de satisfaction d’un de ses proches. Franchement, c’est quand même extraordinaire cette analogie entre l’aliment et le sexe ! D’ailleurs vous êtes belle «à croquer» (sourire) !
Plus sérieusement, j’aimerais bien qu’un neurobiologiste me démontre que des hormones ou des endorphines peuvent, à elles seules, expliquer l’inégalité des sexes devant les pulsions sexuelles et de manière similaire devant les problèmes d’obésité liées à la production des sucs gastriques. Il y a sûrement des scientifiques prêts à nous l’affirmer (le traitement des délinquants sexuels en Amérique du Nord participe souvent de cette conception, comme dans la vieille Europe l’utilisation, à l’insu des intéressés, du bromure à l’armée ou dans les pensionnats
Peut-on, dès lors, avoir une conduite addictive à l’égard du sexe comme d’autres pour le chocolat ? Pour ma part, la culture et l’éducation sont beaucoup plus efficaces que nos sécrétions ! Si la nature est culturellement conditionnée, comme le prouve l’anthropologie, il en est de même pour la sexualité qui est au cœur des relations sociales. Freud a ainsi pu démontrer que l’hystérie avait à voir avec la répression sexuelle dont était victimes les femmes de son époque. L’émancipation, pour les garçons comme pour les filles, est un combat contre l’histoire, l’éducation, les normes et les valeurs du moment.
Ces précautions étant posées, nos sociétés modernes ne sont pas sorties de conceptions assez archaïques des rôles dévolus aux hommes et aux femmes. On pourrait même dire que les rapports garçon/fille non seulement n’ont pas évolué comme l’après 68 nous le laissait espérer, mais qu’ils se sont, ici ou là, rigidifiés. Plusieurs paramètres l’expliquent, mais c’est un autre débat. Du coup, le petit mâle est valorisé dans l’expression de sa sexualité à l’inverse d’une fille fortement critiquée si elle exprime ouvertement ses appétences.
Les parents les plus libéraux ont intégré ce schéma puisque c’est aussi pour cela qu’ils s’inquiètent moins des sorties nocturnes de leur adolescent que de leur adolescente !

La société n’impose t-elle pas à l’homme d’être un héros sexuel, un homme qui ne soit pas «chaud» serait quelque part handicapé ?
Dans nos enquêtes sur les conduites à risque des jeunes, nous avons pu remarquer que le rapport au corps est assez significativement différent suivant les sexes. Prosaïquement, on pourrait dire que le garçon a un corps, il l’agit, ses comportements sont extravertis et cherchent l’assentiment d’un public de pairs. La fille est un corps, ses conduites sont plus intraverties, son intimité plus secrète. Ça c’est une lecture anthropologique ; on pourrait la compléter utilement par une lecture psychanalytique du phallus et de l’utérus, du dehors et du dedans…
Une société impose des codes prévalents. Ils peuvent être différents au cours de l’histoire, mais également au regard d’autres groupes sociaux. Ainsi, l’ethnologue Maurice Godelier rappelle l’influence des missionnaires anglicans sur les mœurs des Baruyas de Nouvelle Guinée. Ces derniers avaient élaborés des rites où leurs jeunes hommes pour grandir devaient pratiquer, depuis la nuit des temps, une homosexualité initiatique qui horrifia, dès leur arrivée, les hommes d’église. Les stratagèmes utilisés par les colons pour en finir avec ces pratiques furent assez redoutables, notamment lorsqu’ils menacèrent les chefs de tribus de révéler aux femmes le secret des hommes !
Aujourd’hui, chez nous, le clivage que vous indiquez dans votre question est toujours bien présent même si, officiellement, le premier rapport sexuel est, désormais, en France, en moyenne à 17 ans, tant pour le garçon que pour la fille. Cette donnée statistique rend compte des avancées réelles dues au féminisme, mais elle ne témoigne pas des histoires de vie en amont et en aval. S’il reste honorable de garder longtemps sa virginité pour une femme, cela reste plus malaisé pour un homme. Nous sommes encore dans le mythe de l’enlèvement des Sabines, l’adolescent qui a perdu sa virginité est élevé au rang de conquérant, le puceau reste en deçà, inachevé. Il y a donc encore, dans l’imaginaire social, pour celles et ceux qui entrent dans la sexualité adulte, un gain pour le garçon, une perte pour la fille.

Une poignée d’hommes ne se retrouve pas dans ce schéma : est-ce par refus de la pression qui s’exerce sur eux ou simplement ne sommes nous pas tous égaux devant la libido?
J’aurais tendance à jouer, un peu, la provocation en vous disant que nous sommes tous égaux devant la libido mais que nous ne nous l’approprions pas pareillement. En effet, pour Freud, la libido n’est pas réductible aux pulsions sexuelles, loin s’en faut. La libido est une énergie de transformation.

À ce titre, les romans de Hermann Hesse sont extraordinaires : Siddharta après une vie libertine va connaître l’ascèse, Narcisse et Goldmund, l’un voyageur impénitent, l’autre reclus pénitent, seront comme les deux faces d’une seule médaille !
Face au désir sexuel, nous avons plusieurs possibilités. Là aussi, notre histoire, notre éducation, notre monde, nos cultures, vont imprimer les possibles et les options plus délicates. Après il y a certainement des conduites plus socialement convenables : entre réaliser une œuvre d’art, par exemple, et se payer une prostituée ! Mais l’une et l’autre peuvent participer de la même énergie libidinale.
La poignée d’hommes que vous évoquez peut être assez différente dans sa composition. On peut y retrouver les enfants de soixante-huitards qui prônent le mariage et la fidélité par réaction (c’est quand même drôle qu’après avoir lutté contre cette institution les gays la revendiquent !). Mais nous pouvons aussi y déceler des hommes qui souhaitent réfléchir à une autre conception de la masculinité, comme l’ont fait les féministes pour la féminité. Ou encore, des personnes fatiguées par une vie d’errance sexuelle qui souhaitent, désormais, se poser. Ou encore quelques religieux intégristes pour qui sexe rime avec queue du diable ! Ou encore des garçons qui aspirent à une autre sensualité, etc. Bref, vous voyez que refusez un schéma préétabli c’est finalement chercher le sens d’une existence singulière. Aussi, je m’émerveille toujours, chez mes semblables, d’accomplissements si différents : des joies du célibat à ceux de la conjugalité, en passant par tant d’autres styles de vie. L’important reste de ne pas transiger sur son désir, ce qui ne veut pas dire s’adonner, finalement passivement, à toutes ses pulsions mais trouver des modes d’exploitation de l’énergie libidinale qui, activement, vous correspondent.
L’identité chez les gays plus que chez les hétéros repose sur l’image d’une sexualité boulimique. Ccomment résister quand on est gay à ce «je baise...donc je suis» ?
Franchement, voilà une question importante mais guère simple. Je viens de rencontrer, à Cannes, Janine Mossuz-Lavau qui a écrit La vie sexuelle en France (Paris, éditions de La Martinière, 2002). Son enquête confirme que les gays, et particulièrement les hommes, ont, en moyenne, plus de partenaires que les hétéros. Bon, ça on le savait. Mais finalement c’est aussi parce que le communautarisme, pour le pire et le meilleur, permet des rencontres faciles. Il faut prendre en compte, aussi, le fait que, historiquement, la sexualité se décline pour les hommes (cf. il y a très peu de prostitution à l’usage des femmes). Mais ceci dit, la sexualité vécue permet aussi une reconnaissance de soi et de sa valeur. La misère sexuelle touche d’ailleurs plus fortement les personnes défavorisées socialement ! Donc oui « je baise, donc je suis » ou plus exactement « j’ai une vie sexuelle donc je m’épanouis ». Sauf qu’une vie sexuelle qui repose plus sur du « quantitatif » que du « qualitatif » peut au bout de compte laisser le goût amer de toute pratique addictive : j’attendais plus et ça n’est que cela !

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